Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/592

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pas d’elle ſeule : il la preſſa à ſon tour de luy dire pourquoy elle avoit une ſi grande envie de le sçavoir. Si bien que ſuivant ſon ingenuité ordinaire, elle luy dit, apres luy en avoir fait un miſtere fort ſecret, que c’eſtoit parce qu’Alcionide avoit un deſir extréme d’aprendre ma veritable qualité : à cauſe qu’elle ne pouvoit s’imaginer, que je fuſſe effectivement un Pirate. Par bonheur, Leoſthene reſpondit, comme je luy euſſe ordonné de reſpondre ſi je l’euſſe sçeu : car il ſe mit à railler avec cette Perſonne, d’une maniere ſi adroite, que ſans luy dire ny ouy ny non, il luy donna lieu de croire, qu’Alcionide ne ſe trompoit pas. Comme Leoſthene avoit aiſément remarqué que j’eſtois amoureux d’Alcionide, il crut bien qu’il me feroit quelque plaiſir de me dire qu’elle avoit la curioſité de sçavoir qui j’eſtois : & en effet il me donna tant de joye, en me racontant ce qui luy eſtoit arrivé, que ne pouvant plus luy cacher ma paſſion, je luy deſcouvris tous mes ſentimens, & en fis mon Confident. Ce n’eſt pas qu’il fuſt fort propre pour cela, car il a l’eſprit un peu trop fier : mais je n’avois pas à choiſir ; & je ne pouvois plus renfermer dans mon cœur la violente paſſion qui me poſſedoit. Dieux que d’heureux moments me donna cette curioſité d’Alcionide : & que de crainte auſſi j’eus quelqueſfois, qu’elle ne vinſt à sçavoir qui j’eſtois, par l’apprehenſion que j’avois que la connoiſſance de mes malheurs ne fuſt un obſtacle au deſſein que j’avois formé, de taſcher d’obtenir quelque place dans ſon cœur ! Cependant je la voyois tous les jours : & tous les jours je l’aimois avec plus de tendreſſe, & avec plus de violence. Ce qui me charmoit le plus d’Alcionide, eſtoit que je ne ſurprenois jamais ſon eſprit