Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/593

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dans aucun ſentiment qui ne fuſt droit : & que tout ce qui a accouſtumé d’eſtre la foibleſſe de toutes les jeunes Perſonnes, eſtoit beau coup au deſſous d’elle. Cette merveilleuſe Fil le ne faiſoit jamais une affaire, de ce qui ne devoit eſtre qu’un ſimple divertiſſement : ſes habillemens la paroient, ſans l’occuper la moitié de ſa vie comme de pareilles choſes occupent ordinairement celle de la plus grande partie des femmes : ſa converſation ſans eſtre touſjours de bagatelles inutiles, eſtoit pourtant fort aiſée. De plus, tout l’Or & tous les Diamans de l’Orient, n’euſſent jamais pû eſbloüir ſon eſprit : elle diſcernoit un honneſte homme ſans magnificence aucune, d’avec le plus magnifique ſtupide de la Terre, dés la premiere viſite : & malgré toute ſa parure, elle rendoit tellement juſtice au veritable merite, que je ne doute nullement, qu’elle n’euſt mieux traité un Pirate effectif, s’il euſt eu de bonnes qualitez, qu’un Prince qui en auroit eu de mauvaiſes. Connoiſſant donc tant de vertu en cette admirable Fille le moyen de ne l’aimer pas ? Auſſi l’aimay-je de telle ſorte, que perſonne n’a jamais tant aimé. Il me ſouvient meſme, qu’un jour eſtant aupres d’elle, appuyé ſur une feneſtre qui eſt au bout d’une Galerie qui regarde vers la Mer, pendant que pluſieurs autres Dames ſe promenoient derriere nous : Voila (me dit elle, en me monſtrant le lieu où mon Vaiſſeau auoit échoüé) l’endroit où vous avez penſé faire naufrage : Pardonnez moy Madame (luy dis-je precipitamment, ſans avoir loiſir de raiſonner ſur ce que je diſois) ce n’eſt point là le lieu où j’ay penſé perir : bien eſt il vray, adjouſtay-je, qu’il n’en eſt pas fort eſloigné. En verité (me dit elle, ſans entendre le ſens