Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/599

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toutes les rigueurs d’une abſence ſi incertaine en ſa durée, ſi certaine en ſa cruauté ; & ſi inſuportable pour toy. Ces penſées. Seigneur, firent une ſi forte impreſſion en mon ame, que je changeay de couleur vingt fois en un quart d’heure : de ſorte que Leoſthene s’apercevant de cette profonde melancolie, me tira à part, durant que ces Dames mangeoient (car j’eſtois demeuré debout, pour ſervir moy meſme Alcionide) & ſuivant ſon humeur libre & hardie ; Qu’avez vous Seigneur ? me dit il, & eſtes vous ſeul en tout l’Univers, que la veüe de la perſonne aimée ne ſatisface point ? Mais Leoſthene, luy dis-je, que me ſert de la voir aujord huy, cette admirable Perſonne que j’adore, puis que je ne la dois plus voir demain ? S’il n’y a que cela qui cauſe voſtre douleur, me dit il, que ne la voyez vous toute voſtre vie ? Et comment le pourrois-je ? luy dis-je ; en me permettant, repliqua t’il bruſquement, de couper le Cable qui tient ce Vaiſſeau à l’Anchre ; de faire hauſſer les Voiles ; de prendre la haute Mer, comme ſi ce n’eſtoit que pour donner le plaiſir de la promenade à ces Dames ; & de les emmener où vous voudrez : à condition de ne retenir apres que la belle Alcionide, & ſon aimable Parente : & de mettre toutes les autres à terre, à quelques ſtades d’icy. Euphranor, pourſuivit il, n’eſt point à Gnide : & nous ſerons deſja bien loing, quand on s’apercevra de noſtre fuitte. Enfin, adjouſta t’il encore, ſoit que vous agiſſiez comme Pirate ou comme Amant, c’eſt une priſe digne de vous. D’abord je creus que Leoſthene me diſoit cela par galanterie : mais un moment apres, je connus qu’il parloit ſerieusement, & qu’il me conſeilloit en intereſſé. Ma premiere penſée fut ſans