Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/604

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pû conſentir un moment à vous deſplaire, me rendra malheureux toute ma vie : & qu’encore que je ne vous l’aye oſé dire, je ſuis pourtant plus amoureux de vous, que perſonne ne sçauroit eſtre. Vous ne pouvez ce me ſemble juger, par le déreglement de mon ame : Vous, dis-je, qui avez tant d’eſprit & tant de lumiere. Au nom des Dieux, Madame, ne refuſez pas à mes prieres, la grace de vous ſouvenir quelques fois d’un Prince qui n’oſe vous dire que ſa qualité, ſans vous aprendre preciſément ſes malheurs. Souvenez vous donc, qu’il part d’aupres de vous, avec le deſſein d’y revenir : mais d’y revenir en eſtat d’eſtre advoüé de vous, pour le plus paſſionné & le plus fidelle Amant du monde, Ne vous ſouvenez pas s’il vous plaiſt, que j’ay eſté un moment voſtre Raviſſeur, ſans vous ſouvenir en meſme temps que l’ay eſté voſtre Liberateur. Enfin, Madame, ſi vous ne vous ſouvenez pas de moy avec tendreſſe, ne vous en ſouvenez pas avec mépris : puis que vous ſeriez injuſte, d’en avoir pour un homme qui vous a adorée ſans vous le dire ; qui part d’aupres de vous preſques ſans eſperance ; & qui vous aimer a toute ſa vie, quand meſme vous le haïriez.

Apres avoir bien leû & releû cette Lettre, où je ne mis pas mon nom, je fus enfin contraint de me ſervir de Leoſthene pour la porter : tant parce qu’il m’en preſſa extrémement apres que je luy eus pardonné ſon mauvais conſeil, que parce qu’il eſtoit fort adroit. Il fut donc à Guide,