pris le bras de cette belle eſvanouïe : pendant que toutes ſes femmes me reconnoiſſant, pouſſerent des cris d’eſtonnement, parmi ceux de douleur qu’elles jettoient. Je pris, dis-je, le bras d’Alcionide, afin de voir ſi je ne pourrois point la ſoulager : mais ô Dieux ! à peine l’eus je pris, que je reconnus cette fatale Javeline, pour eſtre celle qui portoit ſon illuſtre Nom, & que j’avois lancée la premiere, en accrochant ce Vaiſſeau. Jugez donc, Seigneur, de mon deſespoir, lors que je connus avec certitude, que c’eſtoit de ma main qu’Alcionide eſtoit bleſſée : il fut ſi grand, que ſans sçavoir ce que je faiſois, je laiſſay tomber le bras de cette belle Perſonne ſi rudement, que ſon propre poids fit preſque entierement ſortir cette Javeline qui le traverſoit. La douleur qu’elle en ſentit, la fit revenir à elle, & luy fit entr’ouvrir les yeux, juſtement comme les Chirurgiens arriverent : pour moy ſans pouvoir parler, je leur fis ſigne qu’ils la ſecourussent : & cherchant mon Eſpée afin de m’en percer le cœur, je vy que Leoſthene la tenoit : & je m’aperçeus que je l’avois laiſſé tomber, lors que j’avois veû Alcionide en cét eſtat. Je voulus la luy arracher des mains, mais il ne me la voulut jamais rendre : & il me dit que je ferois mieux de ſecourir Alcionide, que de me deſesperer. Je me reprochay donc de ſon lict : & voyant que depuis que les Chirurgiens avoient achevé de luy tirer cette funeſte Javeline, elle eſtoit entierement revenuë à ſoy, je me mis à genoux aupres d’elle : & la regardant ſans pouvoir pleurer, tant ma douleur eſtoit forte (car ce ſont les mediocres douleurs qui s’expriment par des larmes) au nom des Dieux Madame, luy dis je, or donnez moy le ſuplice
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