Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/609

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mais comme les Vaiſſeaux que j’avois, eſtoient encore plus legers que luy, quoy que celuy que je montois fuſt fort grand, je le joignis ; je l’acrochay ; je le combatis : & ſi ardemment, qu’en une demie heure je m’en rendis Maiſtre. Ce qui m’eſlevoit d’autant plus le cœur, eſtoit que j’avois veû que les trois autres Vaiſſeaux qui eſtoient à moy, avoient bruſlé un de ceux des Ennemis ; coulé l’autre à fonds ; & pris le dernier : de ſorte que je voyois ma victoire entiere & certaine, malgré la reſistance de ceux que je combatois, Tout ce qui eſtoit donc dans le Navire que j’avois attaqué s’eſtant rendu, j’y entray l’Eſpée à la main, ne m’eſtant point demeuré d’autres armes : car j’avois non ſeulement lancé pluſieurs Javelines, mais meſme celle qui portoit le nom d’Alcionide, que j’avois touſjours gardée, de puis le jour que cette belle Perſonne eſtoit venuë dans mon Vaiſſeau. J’y entray donc, apres avoir deffendu à mes Soldats de faire aucun deſordre : mais à peine fus-je ſur le Tillac, qu’allant à la Chambre de Poupe, où j’entendis des voix de femmes, je vy ſur un lict l’admirable Alcionide, avec une pas leur mortelle ſur le viſage, le bras gauche eſtendu, deſcouvert, & tout ſanglant parce qu’une Javeline le traverſoit de part en part : & je vis auſſi dix ou douze femmes qui pleuroient aupres d’elle, ſans oſer ſeulement entre prendre de tirer cette funeſte Javeline de ſa bleſſure. Je vous laiſſe à juger, Seigneur, ce que cét objet fit en mon ame : je m’aprochay encore davantage, criant de toute ma force, que celuy qui avoit lancé cette fatale Javeline mourroit, ſi je le pouvois connoiſtre. Je me mis à genoux aupres de ſon lit ; je commanday qu’on fiſt venir mes Chirurgiens ; & je