Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/617

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indubitablement. Si vous sçaviez, adjouſtoit il, quel eſt ſon eſprit ; ſa bonté ; & ſa vertu ; vous excuſeriez ma foibleſſe : car enfin (pourſuivoit il, ſans que je puſſe avoir la force d’ouvrir la bouche pour l’interrompre) lors que je l’ay eſpousée, elle ne me connoiſſoit preſques point : & je ſuis aſſuré qu’elle ne pouvoit avoir pour moy que quel que legere eſtime. J’ay meſme sçeu qu’elle s’eſtoit oppoſée à noſtre Mariage, parce qu’elle diſoit ne ſe vouloir point marier ; cependant de puis ſix ſemaines qu’il y a que j’eſtois à Gnide, elle a veſcu avec la meſme complaiſance que ſi elle m’avoit choiſi : & que ce n’euſt pas eſté par une ſimple obeïſſance qu’elle m’euſt eſpousé. pour moy, dés que je la vy, j’en fus amoureux juſques à perdre la raiſon : ainſi mon cher Thraſibule, excuſez s’il vous plaiſt mes tranſports dans l’excés de ma douleur : & ne prenez pas garde, je vous en conjure, à tout ce que j’ay dit, & à tout ce qu’elle me fera peut-eſtre dire. Je sçay bien que ce n’eſt pas l’ordinaire, qu’un Amant qui poſſede, aime avec tant de violence, auſſi puis-je preſques dire que je ne poſſede pas encore Alcionide : puis que je n’ay pas eu loiſir de gagner abſolument ſon cœur, par cent mille marques d’amour. Je ſuis veritablement poſſesseur de ſa beauté : mais je ne le ſuis pas encore de ſon eſprit, au point que je le veux eſtre. Ainſi tout Mary que je ſuis de l’incomparable Alcionide, mon amour a encore des deſirs & de l’in quietude : & par conſequent de la violence & du deſreglement. Vous voyez, mon cher Traſibule, que je vous deſcouvre le fond de mon cœur, comme à l’homme du monde que j’aime le plus : & : pour lequel je ne puis jamais avoir rien de cache. J’advoüe que tant que Tiſandre