Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/618

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parla, je ſouffris tout ce qu’on peut ſouffrir : il y eut pourtant un endroit dans ſon diſcours, qui me donna un inſtant de joye, & un moment apres, un grand redoublement de douleur : car je m’imaginay peut-eſtre avois-je eu quelque part à la reſistance qu’Alcionide avoit faite à ſon Mariage. Mais helas s’il eſt ainſi (diſois-je en moy meſme, durant que Tiſandre parloit) que te ſuis mal heureux, & que ce diſcours me couſtera de larmes ! Comme ce Prince eſtoit ſensiblement affligé, il ne ſongeoit pas ſi je luy reſpondois ou non : de ſorte qu’apres luy avoir dit trois ou quatre paroles aſſez mal rangées, nous fuſmes sçavoir ſi Alcionide eſtoit eſveillée, & nous sçeuſmes qu’elle l’eſtoit : mais elle fut ſi mal tout ce ſoir là, & toute la nuit, que nous creuſmes qu’elle mouroit. Imaginez vous donc en quel eſtat nous eſtions Tiſandre & moy : & principale ment en quel eſtat j’eſtois, de ſouffrir cent fois plus que ne pouvoit ſouffrir Tiſandre : & d’eſtre pourtant contraint de cacher une partie des mes ſentimens.

Mais enfin le lendemain au matin eſtant venu, & les Chirurgiens ayant levé le premier apareil de la bleſſure d’Alcionide ; ils nous dirent que l’inquietude qu’elle avoit euë la nuit, avoit eſté cauſée par la douleur que luy avoit fait un petit morceau du bois de la Javeline, qui luy eſtoit demeure dans le bras : mais qu’apres avoir ſondé de nouveau ſa playe, ils nous aſſuroient que ſi un peu de fiévre que la douleur luy avoit donnée n’augmentoit pas, ils nous reſpondoient de ſa vie. Je vous laiſſe à penſer quelle conſolation cette bonne nouvelle me donna ; & combien de joye en eut Tiſandre. Neantmoins ils nous dirent qu’il ne luy faloit point parler de tout le jour : & qu’abſolument