Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/620

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m’en race ſouvenir. En effet, Seigneur, Tiſandre avoit eſté ſi deſesperé, & je l’eſtois de telle ſorte, que ny luy ny moy n’avions point donne d’ordre pour cela, & nous allions comme il plaiſoit à Leoſthene ; qui profitant de nos malheurs, entretenoit la Parente d’Alcionide : de ſorte que ſuivant noſtre couſtume, il avoit commandé au Pilote ; pour jouïr plus long temps de la veuë de la Perſonne qu’il aimoit, d’errer ſeulement ſur la Mer, ſans tenir de route aſſurée ; ſi bien que nous nous eſloignions pluſtost de Leſbos, que nous ne nous en aprochions. J’avouë que je me trouvay fort embarraſſé, à reſpondre à ce que Tiſandre me dit : neantmoins faiſant un grand effort ſur mon eſprit, je luy dis qu’il faloit aller à Mytilene, & en effet on en prit la route : mais ſi lentement, parce que je l’ordonnay ainſi en ſecret, afin de voir un peu plus long temps l’admirable Alcionide : que j’eus le loiſir d’eſprouver tout ce que l’amour a de plus rigoureux. J’avois pourtant la joye d’apprendre de moment en moment, que ſa fiévre diminuoit : mais de moment en moment, j’avois auſſi le deſplaisir de remarquer la ſatisfaction qu’en avoit : Tiſandre, que je ne pouvois endurer. Je connoiſſois bien que j’avois un ſentiment fort injuſte : mais je n’y pouvois que faire : & quand je ſongeois à ſon bonheur, je n’eſtois pas Maiſtre de mon eſprit. Comme il en remarqua aiſément le trouble, il eut la generoſité de me demander s’il m’eſtoit arrivé quelque nouveau malheur ? & je luy reſpondis avec tant de deſordre, que j’augmentay ſans doute pluſtost ſa curioſité, que je ne la diminuay. Un inſtant apres on nous vint dire qu’Alcionide n’avoit plus de fiévre : mais que pourtant il ne