Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/625

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tout ce que la raiſon & le ſouvenir de cette amitié peuvent faire, eſt de m’obliger à ne la troubler pas. Je vous en demande pardon genereux Tiſandre : mais ſouvenez vous pour m’excuſer, que j’ay aimé Alcionide, devant que vous l’ayez aimée : & qu’il n eſt pas en mon pouvoir de ne l’aimer point le reſte de ma vie peut-eſtre encore plus que vous : Car enfin comme elle eſt ma premiere paſſion, elle ſera dans doute la derniere. Au reſte que cét adueu ne vous irrite pas : puis que l’amour que j’ay eu pour elle, & que j’ay encore, eſt ſi innocente & ſi pure, qu’elle n’offence ny ſa vertu ; ny noſtre amitié ; ny les Dieux. Elle eſt pourtant ſi violente, que je ne puis plus ſouffrir ny ſa veuë, ny la voſtre ; ny meſme la vie, adjouſtay-je : tant il eſt vray que je m’eſtime malheureux, de ne pouvoir plus eſperer d’eſtre aimé d’Alcionide. Si voſtre paſſion eſt auſſi pure que vous le dittes, & que je la croy, me reſpondit il, je vous promets de vous donner une ſi grande part en l’amitie d’Alcionide, que ſi vous n’en eſtez heureux, vous en ſerez du moins ſoulagé. Car outre qu’il eſt impoſſible que vous ayant connu, elle ne vous ait pas eſtimé : je puis encore eſperer qu’elle vous aimera pour l’amour de moy. Ainſi mon cher Thraſibule, puis que vous ne pouvez eſtre abſolument heureux, ne vous rendez pas du moins abſolument miſerable : & ne troublez pas mon bonheur par voſtre infortune. J’advoüe encore une fois, luy dis-je, que la flame que les beaux yeux d’Alcionide ont allumée dans mon ame, eſt plus pure que les rayons du Soleil : mais, trop genereux Tiſandre, malgré cette pureté, vous sçavez bien, ſi vous sçavez aimer que quand on ne ſongeroit jamais à la poſſession