Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/626

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de la beauté de la Perſonne aimée ; on voudroit du moins avoir abſolument la poſſession toute entiere de ſon cœur & de ſon eſprit. De ſorte que ne pouvant plus deſirer un ſi grand bien ſans vous faire outrage ; & ne pouvant meſme plus le deſirer avec eſperance, il ne me reſte rien à faire qu’à mourir, & qu’à vous laiſſer vivre heureux. Je ne le sçaurois eſtre ſi vous ne l’eſtes point, me repliqua t’il ; Nous ſerons donc tous deux infortunez, luy dis-je. Le temps, adjouſta Tiſandre, vous ſoulagera peut-eſtre malgré vous ; comme ſes remedes ſont ordinairement fort lents, luy dis-je, je ne penſe pas que je puiſſe en attendre l’effet : & la Mort viendra bien plus toſt à mon ſecours que le Temps. Cependant, adjouſtay-je, faites moy la grace de croire, que ſi vous ne m’euſſiez forcé à vous deſcouvrir mon mal, vous ne l’auriez jamais sçeu : je devois cela à noſtre amitié : mais puis que vous avez veû malgré moy ce que je vous voulois cacher, il eſt juſte de vous delivrer promptement de la faſcheuse veuë d’un Rival, qui s’afflige de voſtre bonheur, & qui s’en affligera touſjours, parce qu’il ne peut faire autrement. Lors que j’aimois Sapho, repliqua t’il, je ne croyois pas pouvoir jamais guerir du mal qui me poſſedoit : cependant ſa rigueur pour moy ; ſa douceur pour un autre ; & les charmes d’Alcionide, ont fait qu’elle m’eſt abſolument indifferente. Il n’en ſera pas ainſi de moy, luy dis-je, car encore que je croye qu’Alcionide vous aime, & que je sçache de certitude qu’elle ne m’aimera jamais, je ne la sçaurois bannir de mon cœur. Mais pour vous, adjouſtay-je l’eſprit fort irrité, peut-eſtre que comme vous avez quitté Sapho pour Alcionide, vous quitterez encore