Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/636

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doute mon affection toute entiere : sçachez qu’il n’eſt point d’efforts que je ne face pour arracher de mon cœur ce reſte de tendreſſe que j’ay pour vous : & qui y demeure encore malgré moy. Au nom des Dieux Madame, luy dis-je en l’interrompant, ne le faites pas : je vous promets de ne vous importuner de ma vie, & de ne vous voir meſme plus. Mais promettez moy auſſi, que vous ſouffrirez que j’occupe encore quelque petite place en voſtre memoire : ſongez s’il vous plaiſt que Tiſandre vous poſſede toute entiere ; que toute voſtre beauté eſt à luy ; & que vous luy donnez meſme voſtre cœur. Reſervez moy donc du moins quelques unes de ces penſées ſecrettes & ſolitaires, qui donnent quelquefois de ſi doux chagrins, à ceux qui s’y abandonnent, & qui s’en laiſſent entretenir. Penſez, dis-je, quelqueſfois, ô divine Perſonne, dans les temps où Tiſandre s’eſtimera le plus heureux, que le malheureux Traſibule ſouffre autant de ſuplices, que ce fortuné Mary gouſte de felicitez. Enfin, Madame, eſt-ce trop vous demander, que trois ou quatre momens tous les jours, à vous ſouvenir d’un homme, qui comme je vous l’ay deſja dit, vous donne tous ceux de ſa vie ? Oüy, repliqua t’elle, c’eſt trop pour ma gloire, que ces trois ou quatre moments que vous demandez : & vous devez eſtre aſſuré que ſi je le puis, je vous banniray de mon ſouvenir comme de mon cœur. Mais, adjouſta t’elle malgré qu’elle en euſt, on ne diſpose pas de ſa memoire comme on veut : & il arrivera peut-eſtre, pourſuivit elle en rougiſſant, que vous m’oublierez ſans en avoir le deſſein, & que je me ſouviendray de vous ſans le vouloir faire : Alcionide prononça ces dernieres paroles, avec une confuſion ſur le viſage ſi charmante pour moy, que je me jettay