Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/635

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vie. Apres qu’Alcionide ſe fut un peu remiſe, Seigneur (me dit elle avec beaucoup de douleur dans les yeux) la curioſité que vous avez euë de deſcouvrir mes ſentimens, vous couſtera un peu cher ſi vous m’aimez : car enfin je vous le declare, je ne sçaurois plus ſouffrir voſtre veuë, apres ce que vous sçavez de moy. Peut-eſtre ſi vous euſſiez ignoré ce que j’ay dans le cœur pour vous, euſſay-je accorde an Prince Tiſandre la liberté de vous voir comme ſon Amy, ainſi qu’il me le demandoit : mais apres ce que vous venez de me dire, il m’eſt abſolument impoſſible. Je ne vous pourrois plus voir ſans rougir : & dans les termes où eſt mon ame, je vous haïrois peut-eſtre par la ſeule crainte de vous trop aimer, & de n’avoir pas aſſez d’indifference pour vous. Mais Madame, m’eſcriay-je, quelle juſtice y a t’il de me parler comme vous faites ? Mais injuſte Prince, reprit elle, quelle raiſon avez vous de me dire tant de choſes, que je ne puis eſcouter ſans crime, & que je n’eſcouteray jamais qu’aujourd’huy ? Je n’en veux pas davantage, luy dis-je, car ſi je ne trompe, ma vie ne ſera guere plus longue. Ayez donc du moins la bonté de me dire à moy meſme, que vous ne m’euſſiez point haï : ſi la Fortune euſt fait pour moy, ce qu’elle a fait pour Tiſandre. Alcionide eſt ſi modeſte, Seigneur, qu’elle eut beaucoup de peine à m’accorder ce que je deſirois d’elle : mais à la fin touchée par mes ſouspirs, j’advoüe, me dit elle, que de toutes les Perſonnes que j’ay connuës, vous eſtes celle que j’ay eu le plus de diſposition à eſtimer : & que ſi les Dieux l’euſſent voulu, je me fuſſe creüe fort heureuſe, de contribuer quelque choſe à voſtre felicité. Mais cela pas, & eſtant n’eſtant aujourd’huy femme d’un Prince qui merite ſans