Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/638

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des autres, je ne voulus plus que Leoſthene ſuivist ma fortune : & je le laiſſay aupres de la Parente d’Alcionide, de qui il eſtoit amoureux, le recommandant au Prince Tiſandre, comme eſtant homme de grande qualité, & de beaucoup de merite. Je ne vous diray point comment je me ſeparay de ce genereux Rival qui pleuroit aveques moy, quoy que je ne fuſſe affligé que de ſon bonheur : car il me ſeroit impoſſible de ne rougir pas de honte, en vous racontant la dureté de cœur que j’eus pour luy, & combien je me ſentis peu obligé, de cent mille choſes obligeantes qu’il me dit. Je ne vous diray pas non plus, quel fut l’adieu que je dis à Alcionide, n’ayant pas eu ſeulement la conſolation de voir ſes beaux yeux en prenant congé d’elle, parce qu’elle gardoit le lict ce jour là : & qu’il y avoit tant de monde dans ſa chambre, que je ne la vy qu’un moment, & fort en tumulte. Ainſi je partis ſans cette triſte ſatisfaction, & je m’embarquay avec un deſespoir qui n’eut jamais de ſemblable. Le ſentiment qui me tourmentoit le plus, eſtoit de ce qu’Alcionide eſtoit poſſedée par un homme que j’eſtois obligé d’aimer : & il me ſembloit que ſi elle euſt eſpousé mon plus mortel ennemy, j’en euſſe eſté beaucoup moins malheureux : puis que j’euſſe pû eſperer de m’en vanger. En ſuitte le merite du Prince Tiſandre m’affligeoit encore ; parce que je ne croyois pas poſſible qu’Alcionide ne l’aimaſt point : & j’euſſe ſouhaité qu’elle euſt du moins eſpousé un homme qu’elle euſt haï. Enfin il n’eſt point de ſentimens bizarres, delicats, violents, & extraordinaires, que l’amour n’ait inſpirez dans mon cœur. Bien eſt il vray que depuis cela, l’ambition ne m’a gueres tourmenté : car ne me ſouciant pas meſme de vivre, je ne me ſuis pas ſoucié de regner : de ſorte que ſans ſonger