Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/639

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à rien qu’à mon malheur, & à la belle Alcionide, j’ay erré ſur toutes les Mers qui nous ſont connuës : juſques à ce qu’enfin ayant eſté battu de la tempeſte, je fus à Sinope, lors que le Roy d’Aſſirie y eſtoit avec la Princeſſe Mandane : & qu’en ſuitte vous y vinſtes, & me trouvaſtes dans le Parti de voſtre Ennemi, ſans que j’en euſſe eu le deſſein.

Depuis cela, Seigneur, vous sçavez quelle a eſté ma vie : puis qu’elle n’a rien eu de plus remarquable, que la bonté que vous avez euë de me donner cent marques d’affection dont je ſuis indigne. Mais, Seigneur, dans le combat que nous fiſmes avant hier au pied de ces Montagnes, j’arrivay en un endroit où un homme ne ſe vouloit point rendre à dix ou douze Soldats qui le preſſoient, ſe deffendant courageuſement. A peine me fus-je approché d’eux pour les empeſcher de le tuer, que me reconnoiſſant, il cria que Tiſandre ne ſe rendroit qu’au Prince Thraſibule. Je vous laiſſe à penſer, Seigneur, ſi ce Nom me ſurprit : je ne l’eus pourtant pas pluſtost oüy, que deffendant à ces Soldats de le combattre davantage, je fus à luy : mais je le trouvay ſi bleſſé, qu’un moment apres il tomba, & que je me vy dans la neceſſité de le ſoustenir. Un autre Priſonnier que d’autres Soldats avoient fait, ſe fit auſſi connoiſtre à moy pour Leoſthene, que j’avois laiſſé à Leſbos, & qui n’eſtoit point bleſſé : de ſorte que promettant aux Soldats de leur payer la rançon de ces Priſonniers que je leur oſtois, je fis apporter le Prince Tiſandre icy, qui me dit des choſes ſi touchantes, que je ſerois indigne de vivre, ſi je ne luy en eſtois pas obligé. Cependant j’ay sçeu par Leoſthene, qu’ayant couru bruit que Creſus Roy de Lydie vouloit