Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/64

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aime encore, apres vous avoir connu. Mais Marteſie, repliqua Cyrus quand vous m’auriez donné le Portrait de Mandane en ſeroit elle moins vertueuſe ? Non Seigneur, reprit elle ; mais je n’en ſerois pas plus raiſonnable. Quoy, adjouſta t’il, Marteſie, ſera plus inhumaine pour moy, que la Fortune ne l’eſt pour un Roy à qui elle oſte des Royaumes ! puis qu’en fin elle luy donne la veuë de la Princeſſe qu’il aime, & la met meſme en ſa puiſſance. Quoy, cruelle perſonne, pourſuivit il, vous pouvez sçavoir que le Roy de Pont voit à tous les momens l’incomparable Mandane : & vous pouvez refuſer à Cyrus la veuë de ſa Peinture ſeulement ! Encore une fois Marteſie, vous avez deſcouvert dans le cœur de noſtre Princeſſe, quelque ſecret mouvement, qui m’eſt deſavantageux. Seigneur, luy reſpondit elle en ſouriant, vous aviez raiſon de me dire que je ne devois pas vous rendre grace de l’honneur que vous me faiſiez de me venir voir, puis que vous aviez deſſein de me quereller. Vous pouvez faire la paix quand il vous plaira, luy dit il en l’interrompant ; & afin de ne faire que ce que vous avez deſja fait : preſtez moy du moins le Portrait de Mandane, juſques au jour que je l’auray delivrée, & que je pourray joüir de ſa veuë : car j’ay sçeu que le Roy vous l’a fait rendre. Seigneur, luy dit elle, vous eſtes bien preſſant : mais ne ſongez vous point quel malheur ce Portrait a penſé cauſer ? Mais ne ſongez vous point, luy dit il, quelle joye vous me donnerez ? Je la comprens bien, luy dit elle, par celle que cette chere Peinture me donne à moy meſme. Ha Marteſie, s’écria t’il, que vous la comprenez imparfaitement, ſi vous jugez de mes ſentimens par les voſtres !