Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/644

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doute : mais je l’aimeray comme je l’ay aimée depuis qu’elle eſt à vous ; c’eſt à dire ſans y rien pretendre. Non, luy repliqua foiblement Tiſandre, les choſes ne ſont plus en termes de cela : vous vivrez, & je vay mourir : c’eſt pourquoy toute la grace que je vous demande, eſt de parler quelqueſfois du malheureux Tiſandre, avec ſa chere Alcionide. Souffrez mon cher Thraſibule, luy dit il en luy ſerrât la main que j’aye encore cette derniere ſatisfaction de la dire à moy, le dernier jour de ma vie : auſſi bien ne pourrois-je pas vous la donner comme je fais, ſi elle n’y eſtoit point. Au reſte je vous laiſſe un Threſor en la perſonne d’Alcionide, dont vous ne connoiſſez pas tout le prix : car ſon ame a cent mille beautez plus eſclatantes que celles de ſon viſage. Mais pour me recompenſer d’un ſi precieux preſent, promettez moy devant l’illuſtre Cyrus qui m’écoute, que vous luy direz que je n’ay eu aucun regret ni à la vie ; ni à la Grandeur ; ni à mes Parens, ni à toute les choſes du monde : & qu’enfin je n’ay trouvé aucune amertume en la mort, que le ſeul déplaiſir de l’abandonner. Apres cela, poſſedez la en paix tout le reſte de voſtre vie : & vivez plus longtemps heureux que je n’ay veſcu. Thraſibule eſtoit ſi affligé de voir ſon Amy en cét eſtat, que l’amour accouſtumée à vaincre tout autre ſentiment, fut contrainte de ceder à la douleur, & de demeurer cahée dans le fonds du cœur de ce Prince, ſans oſer plus ſe monſtrer à deſcouvert, en cette funeſte occaſion. Il promit donc à Tiſandre tout ce qu’il voulut : mais il le luy promit avec des paroles ſi touchantes ; & il luy donna de veritables marques de tendreſſe ; qu’il euſt eſté difficile de connoiſtre alors, que Tiſandre eſtoit Rival de Thraſibule,