dans ſes ſentimens ; il avoit pourtant tant d’eſprit, qu’il ne laiſſoit pas de plaire infiniment. Ces quatre perſonnes s’eſtant donc trouvées enſemble chez Marteſie, comme l’amour de Cyrus n’eſtoit plus un ſecret, ce fut le ſujet de la converſation : & apres avoir repaſſé les plus conſiderables evenemens de cette amour (au moins de ceux qui eſtoient venus à leur connoiſſance) chacun le pleignit dans ſes malheurs, ſelon ſes propres ſentimens. Pour moy, diſoit Thimocrate, par où je le trouve le plus à pleindre, c’eſt d’avoir preſque touſjours eſté abſent de la perſonne aimée : car tant qu’il a eſte en Capadoce, la guerre de Bithinie l’a occupé : & depuis ſon retour à Themiſcire, il n’a point veû la Princeſſe qu’il aime. Ce luy eſt ſans doute un grand malheur, reprit Philocles, que d’eſtre abſent : mais puis qu’il peut eſperer d’eſtre aimé, l’abſence n’eſt pas pour luy ſans conſolation : & il n’a pas eſprouvé ce que l’Amour a de plus rigoureux. S’il ne l’a pas eſprouvé, interrompit le Prince Artibie, ny par l’abſence, ny par la haine de la Princeſſe qu’il aime : il l’a ſans doute bien ſenti lors qu’il l’a cruë morte, comme on me l’a raconté. Et quand je me l’imagine dans les frayeurs de trouver ſa Princeſſe reduitte en cendre, par l’embraſement de Sinope : & que je le voy en ſuitte dans la Cabane d’un peſcheur, aprendre de la bouche de Mazare, qu’elle avoit peri dans les flots : que je le voy, dis-je encore, au bord de la mer, chercher avec tant de ſoin le corps de ſa chere Princeſſe : j’avoüe que la compaſſion que j’ay du mal qu’il a ſouffert eſt extréme : & je ſoutiens de plus, que de quelques douceurs dont il puiſſe jouïr un jour, elles n’égalleront qu’à peine le tourment qu’il a enduré. Il eſt certain (dit Leontidas qui n’avoit
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