Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/70

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point encore parlé) que je conçois aiſément que l’abſence eſt un grand mal : que n’eſtre point aimé eſt une choſe fâcheuſe : & que la mort de la perſonne aimée, donne ſans doute une aigre douleur. Mais apres tout, ſi l’illuſtre Cyrus n’a point eſté fort jaloux (comme je ne l’ay pas oüy dire) il doit des Sucrifices de graces à l’Amour : de luy avoir eſpargné un tourment qui ſurpasse de mille degrez tous les autres. Quoy Leontidas, reprit Marteſie, vous pouvez croire que la jalouſie eſt un plus grand mal, que la mort de la perſonne aimée ! Ha Leontidas, s’écria t’elle, ſongez bien à ce que vous dites. J’y ſonge bien auſſi, luy repliqua t’il, & je parle d’une paſſion qui ne m’eſt pas inconnuë. Pour moy, interrompit Erenice, il me ſemble que la jalouſie eſt un aſſez grand mal, pour ne trouver pas eſtrange qu’il ſoit mis par Leontidas entre les plus grands ſuplices de l’amour : Mais que Thimocrate ait oſé parler de l’abſence, comme de la plus rigoureuſe choſe du monde ; il me ſemble, dis-je, que l’on peut aſſurer ſuil a l’ame un peu delicate. Il faudroit l’avoir bi ? inſensible, reprit il, pour ne trouver pas que l’abſence comprend en ſoy tous les autres maux : ce n’eſt qu’à celuy qui n’eſt point aimé, reprit Philocles, qu’il eſt permis, s’il faut ainſi dire, de ramaſſer tous les maux de l’amour en un ſeul : & quiconque n’a point eſprouvé celuy là, ne connoiſt point du tout quelle eſt la ſupréme infortune. C’eſt un mal du moins adjouſta, Thimocrate, dont un homme genereux ne doit pas eſtre long temps tourmenté : puis qu’il n’eſt rien de plus juſte, ny de plus naturel, que de ceſſer d’aimer ce qui ne nous aime point. Il l’eſt encore plus, repliqua Philocles, à celuy qui pleure ſa Maiſtresse morte, de ſe conſoler