Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/73

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que de n’en parler pas : n’a garde de vous refuſer de vous conter ſes déplaiſirs. Et pour moy, dit Philocles, qui n’ay jamais eſté eſcouté favorablement de la perſonne que j’aime ; je troueray ſans doute quelque douceur, à l’eſtre du moins d’une autre, que j’eſtime infiniment. Il n’y a donc plus que le jaloux Leontidas (dit lors Marteſie en ſe tournant vers luy) qui puiſſe s’oppoſer à ma curioſité : Non non Madame, luy dit il, je ne feray point d’obſtacle à voſtre ſatisfaction : car je ne ſuis pas auſſi avare de mes paroles & de mes ſecrets, que je ſuis jaloux de ma Maiſtresse. Mais aimable Marteſie, il faut qu’apres avoir eſcouté le recit de nos avantures, & en ſuite nos raiſons ; vous jugiez ſouverainement, lequel eſt le plus malheureux, ou de celuy qui eſt preſque touſjours abſent de ce qu’il aime : ou de celuy qui n’eſt point aimé : ou de celuy qui a veû mourir la perſonne aimée : ou de celuy qui eſt effroyablement jaloux : afin que du moins le plus infortuné puiſſe avoir la conſolation d’eſtre pleint avec plus de tendreſſe que les autres : & que voſtre compaſſion ſoit le prix de la peine qu’il aura euë de vous dire ſes malheurs & ſes raiſons. Au haſard de faire une injuſtice par ignorance, reſpondit Marteſie, l’accepte la glorieuſe qualité de voſtre Juge : à condition qu’Erenice ma chere Parente me conſeillera. Non, luy reſpondit cette agreable fille, je ne veux point partager cette qualité aveque vous ; & je veux me reſerver la liberté de pleindre peut-eſtre le plus, celuy que vous pleindrez le moins. Come ils en eſtoient là, Cyrus accompagne ſeulement d’Aglatidas entra : & comme il avoit entendu de l’anti-chambre qu’ils parloient tous avec aſſez de chaleur : s’il y a diſpute entre