Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/72

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douleurs. Quoy qu’il n’y ait pas de vanité, adjouſta Philocles, à publier que l’on n’a pû eſtre aimé : je ſuis pourtant contraint d’avoüer, que c’eſt par ma propre experience, que j’ay compris parfaitement, que comme la plus grande felicité de l’amour eſt d’eſtre aimé : la plus grande infortune eſt de ne l’eſtre pas. Pour moy, dit Marteſie, je ne m’eſtonne plus que vous ſouteniez tous chacun voſtre opinion ſi fortement : car enfin il eſt difficile de ne ſentir pas ſon propre mal plus que celuy d’autruy : & de n’eſtre pas un peu preocupé en ſa propre cauſe. C’eſt pourquoy je ne vous crois pas bons Juges d’une queſtion ſi delicate : quoy que vous ayez tous beaucoup d’eſprit. Il faudroit donc que vous le vouluſſiez eſtre, reprit Thimocrate, car ſans doute vous avez toutes les qualitez neceſſaires pour cela : c’eſt à dire beaucoup de lumiere, & nul intereſt en toutes ces choſes. Il eſt vray, reprit elle, mais je n’y ay auſſi nulle experience. Neantmoins je vous avoüe (adjouſta t’elle en les regardant tous) que vous m’avez fait naiſtre une ſi grande curioſité de sçavoir les advantures qui ont donné des ſentimens ſi differents, à des perſonnes qui ont tant d’égalité en tant d’autres choſes, que ſi j’oſois j’accepterois l’offre que m’a fait Thimocrate : & je vous obligerois tous, à me les vouloir raconter. Pour moy, interrompit Artibie, qui ne cherche qu’à me pleindre, & à eſtre pleint, je ſuis tout preſt de vous ſatisfaire en peu de mots : & de vous dire en ſuitte les raiſons qui peuvent fortifier ma cauſe. Un Amant abſent, reprit Thimocrate en ſouriant, qui eſt accouſtumé de graver ſes malheurs ſur les eſcorces des arbres, & d’en parler meſme aux rochers, pluſtost