Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/84

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condition dés qu’on la voyoit. Elle avoit les cheveux du plus beau noir du monde : & le teint d’une blancheur ſi vive & ſi ſurprenante ; que l’on ne pouvoit la voir, ſans avoir l’imagination toute remplie de Neige & de Cinabre, de Lis & de Roſes : tant il eſt certain que la Nature a mis ſur ſon viſage de belles & d’éclatantes couleurs. De ſorte que joignant à ce que je dis, yeux doux : & brilants tout enſemble ; une bouche admirable ; de belles dents ; & une fort belle gorge ; il n’y a pas lieu de s’eſtonner ſi mon cœur en fut ſurpris. Mais helas, l’Amour qui vouloit ſans doute me faire connoiſtre par la naiſſance de ma paſſion, quelle en ſeroit la ſuitte : fit que je ne vy pas pluſtost Teleſile que je ne la vy plus : car elle ſortit du Temple un moment apres : & le jour ſuivant je partis de Delphes : de ſorte que je ne fus pas pluſtost amoureux que je fus abſent.

Comme nous fuſmes hors du Temple, & que nous l’euſmes perduë de veuë (ce qui arriva meſme dans un inſtant, parce que ſa Maiſon eſtoit fort proche de là) Meleſandre & moy eſtans allez diſner enſemble, & ſes autres Amis nous ayant laiſſez ſeuls : à peine fuſmes nous en liberté, que le regardant attentivement ; Meleſandre, luy dis-je, ſi vous n’aimez point Teleſile, il faut conclurre de là, que vous avez aimé ailleurs, avant que de la connoiſtre, ou que vous n’aimerez jamais rien : car je ne penſe pas qu’il ſoit poſſible, qu’un cœur ſans preocupation ou ſans inſensibilité, puiſſe reſister à une beauté auſſi merveilleuſe que la ſienne. Si Thimocrate, me reſpondit il en riant, n’eſt point amoureux à Athenes ou à Corinthe, je penſe qu’il le ſera bien toſt à Delphes s’il ne l’eſt deſja : & je louë les Dieux, adjouſta t’il, de ce que je ne ſeray