Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/88

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Mais à vous dire la verité, mon cœur avoit deſja plus d’intelligence que je ne croyois avec Teleſile : & il fau certainement qu’il y ait quelque puiſſante ſimpathie, qui nous force à aimer en un moment, ce que nous devons aimer toute noſtre vie. Je m’en aperçeus bien entrant à Delphes : car ayant rencontré un Charoit plein de Dames qui s’en alloient à la Campagne, à ce qu’il paroiſſoit par leur equipage, je portay curieuſement les yeux dedans ſans sçavoir pourquoy. Dieux que devins-je, & quel agreable trouble ſentis-je en mon cœur lors que je vy que Teleſile eſtoit à la portiere : & mille fois plus belle encore, à ce qu’il me ſembla, que le jour que je l’avois veuë au Temple ! Le Charoit alloit aſſez doucement, à cauſe de quelque embarras qui eſtoit dans le chemin, qui de luy meſme eſtoit fort eſtroit ; de ſorte que j’eus le loiſir de la conſiderer avec plus d’attention que je n’avois fait la promiere fois : car comme elle ne faiſoit que de ſortir de la Ville, elle n’avoit pas encore abaiſſé ſon voile. Mais helas, je me dérobay moy meſme quelques momens de ſa veuë : parce qu’apres l’avoir ſalüée avec un profond reſpect ; je la regarday avec tant d’attention, & peut-eſtre encore avec un viſage ſi interdit, qu’elle en changea de couleur, & en abaiſſa ſon voile, comme ſi ç’euſt eſté ſeulement pour ſe garantir du Soleil. Auſſi toſt que je fus dans la Ville je m’en allay chez Meleſandre : Et bien, luy dis-je apres les premiers complimens, la Fortune prend autant de ſoin de ma conſervation que pour me preſerver des redoutables attraits de Teleſile, elle part de Delphes quand j’y reviens. Vous eſtes ſi preciſément informé de ce qu’elle fait, me dit il en ſous-