Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/87

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ce que fera Crantor : & les autres taſchent de l’eſpouser pauvre preſentement, dans l’eſperance de l’avenir : Mais ſoit par l’indifference de Teleſile, ou par la prudence de Diophante, tous ces Amants eſperent & n’avancent rien. Voila Thimocrate, quel eſt le deſtin de cette belle Perſonne ; aupres de laquelle je ne vous conſeillerois pas de vous engager legerement. Je remerciay Meleſandre de l’advis qu’il m’avoit donné : & commençant de parler d’autre choſe, nous diſnasmes & paſſasmes le reſte du jour enſemble. Mais quoy que je puſſe faire, je ne pûs m’oſter de l’imagination, la Beauté que j’avois veuë, ny meſme m’empeſcher d’en parler, quoy que l’en euſſe le deſſein. Quand nous rencontrions quelque homme de qualité dans les ruës, eſt ce un des Amants avares de Teleſile ? diſois-je à Meleſandre : & ſi je voyois quelque Dame, je ne pouvois non plus m’empeſcher de dire, qu’elle n’eſtoit pas ſi belle que Teleſile. Enfin malgré moy, & quelques fois meſme ſans que je m’en aperçeuſſe (à ce que m’a depuis dit mon Amy) je la nommay plus de cent fois ce jour là. Cependant il falut partir le lendemain pour aller à Anticire : Mais quoy que ce lieu ſoit en reputation de redonner la raiſon à ceux qui l’ont perduë, il ne me redonna pas la mienne, l’y fus pourtant dix ou douze jours avec mon Pere : car l’Amour qui n’avoit pas encore aſſez fortement imprimé dans mon cœur la beauté de Teleſile pour me faire beaucoup ſouffrir par cette abſence, ne voulut pas que je fuſſe plus long temps eſloigné d’elle. Toutefois je puis dire, que ſi je n’eus pas une grande douleur durant ce voyage, l’eus du moins aſſez de joye de retourner à Delphes : quoy que je n’y euſſe encore aucune habitude qu’avec Meleſandre.