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Page:Segalen - Gauguin dans son dernier décor.djvu/3

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Bouddha qui serait né au pays Maori. Gauguin se plut ainsi à revêtir de poses hiératiques diverses les héros des mythes polynésiens. Il ne pouvait, en cela, relever que de lui-même ; car ces peuples dédaignèrent de figurer leurs dieux. Ils n’ignoraient point l’art de façonner le bois ou de tailler à même dans la lave et le grès rouge des statues colossales, mais ils n’en firent que des symboles, des tabernacles ou des images de tombeaux. Les Tiki marquisiens, sans culte rendu, présidaient surtout aux limites des terres, et simulaient au plus d’infimes déités. Les missionnaires seuls furent païens qui crurent à l’anthropomorphisme des indigènes, et les dissuadèrent d’adorer les « dieux de bois ». Tangaroa-créateur, comme Iaveh, n’avait point eu d’idoles, mais une arche, un tabernacle.

Sous la statuette, un titre et des strophes de la main de Gauguin :

TE ATUA[1].


Les dieux sont morts, et Atuana meurt de leur mort.
Le soleil autrefois qui l’enflammait, l’endort
D’un sommeil triste, avec de brefs réveils de rêve :
L’arbre alors du regret point dans les yeux de l’Ève
Qui, pensive, sourit en regardant son sein,
Or stérile scellé par les divins desseins…

§

Voici la maison : une minime chambre ouvrant sur l’atelier dont tout le pignon bée à la lumière. Mais le portrait ornementé retient : il s’entoure de scènes frustes et précises, expliquées de légendes et frottées de couleurs mortes ; en-tête : la Maison du Jouir. À gauche et à droite deux panneaux où processent des figures d’ambre aux lèvres de chair bleutée, en des poses convulsées ou lentes, et qui enseignent en lettres d’or :

Soyez amoureuses et vous serez heureuses — Soyez mystérieuses et vous serez heureuses.

Puis, deux silhouettes femelles nues, aux lignes gros-

  1. Le Dieu.