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sières comme œuvre de préhistorique. Enfin, deux toiles plaquées sur la paroi même.

Dans l’une chemine, sur fond vif d’indigo, une troupe d’indigènes aux gestes traînants, foulant un sol d’ocre brune presque rouge ; un porteur-de-féi soulève sur la nuque le bâton transversal où pendent les plantureux régimes roux, et des filles aux torses cuivrés, avec des reflets d’olive, serrées en des étoffes jaunes et vertes, s’attardent en des poses familières. — La seconde indiffère.

Dans l’atelier où vague un pêle-mêle d’armes indigènes s’essouffle un vieux petit orgue, puis une harpe, des meubles disparates, de rares tableaux, car le maître venait de faire un dernier envoi. Il s’était pourtant réservé une ancienne œuvre très poussée : un portrait, de lui-même, portrait douloureux où, sur un lointain de calvaires devinés, se dresse le torse puissant ; l’encolure est forte, la lèvre abaissée, les paupières alourdies. Une date : 1896, et une morne épigraphe : « Près du Golgotha ». Un autre portrait de facture différente, non daté ni signé, semble plus actuel et précise, dans un geste tout oblique, la forte encolure, encore, et le nez impérieux. Très en valeur dans l’atelier, l’œuvre la plus intéressante : Trois femmes au repos dont l’une accroupie. Celle de gauche qui porte, du geste habituel aux indigènes, un fruit de maioré est aperçue de dos, et se retourne à demi, hanchée sur la jambe droite. La seconde, jambes repliées sous elle, donne le sein à un enfant. Toutes deux, simplement et largement traitées, sont d’une rigoureuse expression tahitienne. La troisième s’en écarte, évoque les attitudes chères à Puvis. Tout cela sur un fond bi-parti de ciel et de sol : sol vert sombre, ciel vert clair et lumineux, ciel accalmisé du soir, harmonieux aux poses des trois figures lentes.

Et, dans un dernier paradoxe, l’œuvre des derniers moments, reprise en ces pays de lumière, c’était une glaciale vision d’hiver breton — reflets de neige fondant sur les chaumes, sous un ciel très bas strié d’arbres