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Page:Segalen - L’Observation médicale chez les écrivains naturalistes.djvu/64

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une partie reste toujours en réserve dans chaque nouvel être pour qu’elle soit ainsi transmise, invariable, immuable, de génération en génération »[1].

Il est impossible d’accorder à ces deux paragraphes un intérêt supérieur à celui d’un manuel désuet et vieillot. M. Zola ne pouvait certes pas, en matière d’atavisme, prophétiser et devancer la science ; il eut, croyons-nous, le tort littéraire de vouloir la suivre sur ce terrain mouvant encore, et de s’y enliser.

Mais l’érudition ne suffit même pas à l’ampleur de vues de M. Zola. Les frères de Goncourt avaient, à leur actif, un mot superbe et total : le Document humain. M. Zola voulut être père d’une autre expression typique, et il lança le mot de Roman expérimental. Ce fut un mot malheureux.

Sainte-Beuve en était, en réalité, l’aïeul. Il donnait déjà ses études biologiques pour une « séries d’expériences » formant « un long cours de physiologie morale ». Ainsi M. Zola conçut la formule naturaliste comme une « méthode scientifique appliquée aux lettres ».

« On a plusieurs fois montré, observe justement le Dr Cabanès, ce qu’a d’artificieux cette théorie. Autant l’œuvre du savant est impersonnelle, autant celle du littérateur emprunte de valeur à sa personnalité. Le savant s’efface devant l’expérience, laissant agir les seules forces naturelles, il ne réapparaît que pour en constater les résultats. Le romancier, au contraire, doit tout imaginer, l’expérience elle-même aussi bien que ses conséquences. D’un côté, un fait réel, dûment constatable ; de l’autre, hypothèse pure »[2].

À ces objections, M. Zola répondit simplement qu’il n’était pas un savant, mais un romancier, un artiste[3]. Peut-être a-t-il, quant à l’essence réelle de son esprit, pleinement raison, et reste-t-il le plus souvent, même au milieu de son laboratoire littéraire, un véritable poète épique[4].

  1. Émile Zola, Le docteur Pascal, édit. prim., p. 37-38.
  2. Chron. médicale, 15 nov. 1895.
  3. Ibid., p. 680.
  4. Jules Lemaître, Les contemporains.