Page:Segalen - Les Immémoriaux.djvu/100

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

la fille fut droite, et dansait dans sa joie de l’inespérée guérison. Térii se troubla : il accomplissait donc ce qui échappe aux efforts des autres hommes ! Lui, le haèré-po oublieux chassé du maraè, il dominait sur la foule, il protégeait, il guérissait…

Alors, obéissant en vérité à un être nouveau qu’il subissait, plus fort que lui-même, et qui pénétrait en lui, il s’enroula fièrement le bras gauche de la tapa blanche, signe du dieu descendu. Puis redressé, confiant en la force survenue, il fixa le troupeau des suppliants : on palpitait sous son regard. En retour, il sentit, des innombrables yeux ouverts dans l’ombre sur ses yeux, monter une foi sans limites, une certitude des choses inouïes qu’il devait accomplir. Ses prophéties, ses paroles d’aventure, il les avait jetées dans la foule, comme à travers la brousse on disperse les folles semences de l’aüté : et voici que ses paroles ayant germé, se multipliaient inespérément dans la foule ! Ces gens l’appelaient Oro transparu. Il devenait Oro. Son cœur bondissait. Jamais encore il n’avait frémi de la sorte. Il pouvait tout. Il cria :

— « Nous irons vers la montagne ! Cette nuit est la nuit attendue ! »

Et, vêtu comme jadis du maro sacerdotal, peint de jaune et poudré de safran, précédé de porteurs-de-torches, entouré de fétii, acclamé par des centaines de gens frénétiques, il ordonna la marche au prodige.