Page:Segalen - Les Immémoriaux.djvu/133

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Et Paofaï, dont la jambe tatouée illustrait le rang, vint prendre sa place au cortège, et marcha, parmi les Douze, vers la mer accueillante. Il remuait d’inexprimables craintes. Certes, quand les Arioï, en survenant, avaient dépouillé la rive de ces Piritané maléficieux, son orgueil de prêtre inspiré triomphait dans sa poitrine ! — Mais maintenant il redoutait des revanches : et pour les conjurer, il partait vers les pays originels, vers Havaï-i[1] dont Raïatéa, l’île aux Savoirs-nombreux, faisait la première étape. — Voici qu’un homme furtif lui parlait dans l’ombre, à voix basse. Paofaï reconnut le haèré-po coupable, Térii au grand-parler dont le nom se disait maintenant « qui Perdit les mots » mais que des gens proclamaient toujours « Disparu avec Prodige ». Paofaï se souvint que c’était là son disciple, peut-être son fils : il le cacha parmi les pagayeurs. Courbés sur la mer, tous se tendaient vers le signal :

— « A hoé ! » hurla le chef des pilotes. Les mille pagaies crevèrent l’eau. Les coques bondirent. D’innombrables torches incendièrent le vent. Un cri leva, s’étendit, enfla : le cri d’en-allée, l’appel-au-départ des heureux, pour d’autres joies encore et vers d’autres voluptés. La clameur immense couvrit toute la mer, mangea la voix du récif, s’épandit sur la

  1. Savaï, des îles Samoa.