Page:Segalen - Les Immémoriaux.djvu/142

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Il faut provoquer les lèvres qui savent, par un abord ingénieux. Le voyageur :

— « Aroha ! Aroha nui ! Je cherche ma route. De nombreux hommes ont crié que ta mémoire est bonne. Ton père nourricier fut Tupaïa, qui naviguait si sûrement entre les terres que l’on voit, et les terres que l’on ne voit pas. »

Le prêtre n’a pas bougé, mais sa figure se fait plus attentive. Le voyageur :

— « Moi, je voudrais partir aussi. Mais je ne connais pas les routes de la mer. Je discerne pourtant, parmi les autres, l’étoile Rouge et les Six petits yeux. Mais je n’ai pas de Nom, pour guide, et pas d’avéïa, et pas de coin du ciel où regarder sans fin. Toutes ces îles et tous ces hommes me retournent les entrailles. Par où m’enfuirai-je ! Eh ! prêtre, enseigne-moi les routes de la mer. »

Le prêtre n’a pas bougé. Le voyageur :

— « Dois-je te quitter ? « Les lèvres lourdes de savoir s’entr’ouvrent :

— « Reste là ! »

Un silence de paroles passe entre eux, empli de la sonorité sainte : voix du vent dans les branches sifflantes ; voix du récif boulant au large ; voix du prêtre enfin, qui promet :

— « Je dirai le chemin vers Havaï-i. »