Page:Segalen - Les Immémoriaux.djvu/295

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pensers délectables : la grandeur de ses titres, d’abord ; auprès de ceux-là, on pouvait rire, comme de jeux enfantins, des dignités poursuivies aux temps d’ignorance : qu’étaient donc ces haèré-po d’autrefois, ces arioï et toutes leurs bandes : la racaille d’un peuple païen ! Il se loua d’avoir changé son nom.

Du même coup, il avait dépouillé toute angoisse. Le baptisé savait, désormais, qu’on peut jeter son hameçon dans la mer-abyssale sans craindre de pêcher un dieu ; que la femelle-errante des nuits ne se hasarde pas autour des chrétiens fidèles ; que les inspirés, quand il s’en découvre encore, ne sont pas plus redoutables, avec leur bras enroulé d’étoffe, que le crabe dont la pince est amarrée, et qui tourne en rond ! Pour mieux chasser toutes ces vieilles peurs, les envoyés de Iésu, il est vrai, en avaient enseigné d’autres : on est coupable, disaient-ils, si l’on croit encore aux génies-justiciers, qui revêtent de chairs les âmes méchantes, afin de les écorcher ensuite par trois fois jusqu’aux os ! — L’on doit connaître que ces âmes méchantes — les damnés — brûlent seulement à grand feu, toujours vives, toujours torturées, non point par quelque atua imaginaire ; mais par la justice même du Seigneur. — Mais ces menaces ne concernaient qu’une autre existence, plus lointaine cent fois que la terre Piritania. Pourquoi s’en inquiéter ? La vie que l’on menait, que l’on tenait, était bonne aux bons chrétiens : oisive à souhait, repue, emplie de quiétude. Les femmes, depuis qu’on les