Page:Segalen - Les Immémoriaux.djvu/97

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À tout hasard on vénéra le dieu. On s’empressa donc autour du nouvel inspiré. Les railleries s’apaisèrent. Des femmes l’entouraient, et les vieillards ne lui parlaient plus qu’avec les grands mots antiques. De jeunes garçons ne le quittaient pas. Ils veillaient sur ses moindres discours, les retenant dans leur mémoire ainsi que surhumains, pour se les transmettre pieusement.

L’œuvre annoncée, Térii ne se hâtait point de la réaliser. Repu d’hommages et d’offrandes, il se reprenait à vivre gaîment. Il ignorait l’issue réelle de l’imprudente promesse. Les disciples nouveaux le pressaient d’affirmer ses pouvoirs : il répondit, en considérant Hina : que les temps du ciel n’étaient encore pas favorables. Ainsi, il jetait avec profondeur des parlers obscurs, comme les maîtres conseillent d’en mêler parmi les desseins ambigus. Puis il feignit de discourir en dormant ; car il savait combien la voix d’un rêveur étonne les gens éveillés. Une nuit, où on l’avait pressé davantage, il proclama d’un accent mesuré : — « L’Homme deviendra différent de l’Homme, au temps où les Chiens de l’Aurore monteront plus haut, dans le ciel des étoiles, que les Six-petits-Yeux. » Il tenait cela pour impossible, et espérait écarter l’épreuve. Décidément on s’irrita. Il dut fixer la nuit du prodige à la première lune de la première lunaison.