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Page:Segalen - Les Synesthésies et l’école symboliste.djvu/27

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lui sert à la fois d’œil, d’oreille, de nez, de doigts[1]. » Ce fut pour lui, le premier stade du sensorium humain. Au cours de l’évolution, chaque sens s’étant, de ce magma, différencié, ainsi fut constitué chacun de nos appareils sensoriels. Or, affirme un peu lourdement M. Nordau, les Symbolistes « prétendent percevoir des rapports mystérieux entre les couleurs et les sensations des autres sens, avec cette différence qu’ils entendent les couleurs, alors que lui (Baudelaire) les sentait, ou, si l’on aime mieux, qu’ils ont un œil dans l’oreille [!] tandis que lui voyait avec le nez (sic) ».

Ce que lui, Baudelaire, exprime délicieusement :

Ô métamorphose mystique
De tous mes sens fondus en un !…

(Les Fleurs du mal.)

Et de ce parallèle peu respectueux entre symbolistes et mollusques découle, pour M. Max Nordau, une parenté physiologique manifeste. L’impressionnisme poétique « ramène, conclut-il, le penser humain à ses débuts zoologiques, et l’activité artistique de sa haute différenciation actuelle, à l’état embryonnaire dans lequel tous les arts, qui plus tard devaient diverger, étaient encore confondus, pêle-mêle, non développés…[2] ». Et ailleurs encore :

« Ramener le mot lourd d’idées au son émotionnel, c’est vouloir renoncer à tous les résultats de l’évolution organique, et rabaisser l’homme, heureux de posséder le langage, au rang du grillon qui grésillonne, ou de la grenouille qui coasse… »

— « C’est rétrograder aux débuts du développement organique. C’est retomber, de la hauteur de

  1. Max Nordeau : Dégénerescence, tome I. Les Symbolistes, pp. 245 à 255.
  2. M. Nordau, op. cit., tome II, p. 430