Page:Segalen - Peintures, 1918.djvu/67

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fié contre le temps. La surface est une peau visqueuse et lisse, et qui se souvient d’avoir été sève, et végétale, et d’avoir coulé, salive résineuse, des lèvres taillées dans un tronc. Le vernis et le baume, étalés peinture après peinture et pinceau après pinceau durant des journées d’artisan et des mois et des années, continuent de vivre là-dedans. Certaines des couleurs primitives ont sombré ; elles sont bues et disparaissent. D’autres qu’on aurait cru absentes émergent après quelques cents ans : ce sont les bruns couvés par la durée : plus légers et plus somptueux que les noirs : ils surnagent. D’autres rouleront longtemps entre deux eaux. Il se fait de lourds courants dans cette matière en osmose, qui ne cesse jamais de fluer, de filtrer, de dialyser…

Et, penchés sur ces eaux, regardez bien : voici les mêmes habitants que du monde de porcelaine : vous retrouvez ces femmes longues et ces enfants ronds ; mais on les sent ici tous pénétrés d’une plus grave existence.