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Page:Segalen - René Leys.djvu/260

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enfant est vivant et viable… pourquoi me surprendre à compter tout d’un coup sur mes doigts… jusqu’au nombre neuf ? — Il me semble que le terme est un peu court, entre ma suggestion et l’enfant… Ce garçon est décidément surprenant… Mais part à deux ! part à moi-même… saurais-je jamais ce qui lui vint de moi ? — Restent des moments inexplicables… des aperçus, des éclats, des éclaircies… des lueurs, des mots impossibles à inventer, des gestes impossibles à imiter… Toutes ses confidences habitaient vraiment un Palais capital bâti sur la plus belle assise… Et la mise en décor… et cette pleine vie protocolaire et secrète et pékinoise que nulle vérité officiellement connue ne pourra jamais suspecter…

À bien réfléchir, sa part est donc beaucoup plus riche que la mienne… la jeunesse d’avoir osé cela ! la foi peut-être de l’avoir accompli… Et je suis là, vivant, promenant autour de sa mort mon doute comme une lanterne fumeuse… Alors que, fidèle à lui-même, — et je m’en aperçois tout d’un coup —, je devrais d’abord me souvenir de sa parole : l’autre, l’Empereur, est mort sans un ami auprès de lui… — « J’étais son ami » — m’a dit avec un profond accent René Leys…

— J’étais son ami, — devrai-je dire avec le même accent, le même regret fidèle, — sans plus chercher de quoi se composait exactement notre amitié… dans la crainte de le tuer, ou de la tuer