Page:Segalen - René Leys.djvu/29

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Et me voilà tournant juste le dos à l’Observatoire et au « coin sud-est », approchant au grand trot de mon but, la Ville impériale qui contient la Cité violette interdite, — le « Dedans ». Je vais pour la dixième fois l’assiéger, l’envelopper, tenter le contour exact, circuler comme le soleil au pied de ses murailles de l’est, du sud et de l’ouest, achever, si possible, le périple en m’en revenant par le Nord.

J’ai esquivé la chaussée de la rue des Légations, trop propre et trop dure aux sabots de mon cheval. Quand, face à l’ouest, je coupe l’axe magnétique et impérial, j’ai sur ma droite la porte dynastique du Palais, Ta-Ts’ing-men, la porte de la Grande Pureté. Je la salue respectueusement du regard ; triple et basse, peinte d’une ocre violette comme l’enceinte entière de la ville interdite, avec de grandes lèpres grises, elle m’est triplement fermée. À gauche, m’écrasant de ses toitures surélevées, est Tcheng-Yang-men, la « Porte droit au Midi », que tous les gens de la ville appellent familièrement « Ts’ien-men » et qui marque, sous son tunnel, l’échange entre les deux mondes : l’un extérieur, « Ts’ien-men wai », l’empire chinois avec ses plaisirs, ses tributs, ses bombances, et l’autre restreint, cerclé, emmuré, « T’sien men nei », la cité intime et, en son milieu, le Dedans. Immobile un instant entre la vertu fermée à ma droite et le vice béant à ma gauche, j’évite l’une et l’autre, et je passe. Pensif, je chevauche au milieu d’une foule adroite à m’éviter, sur des dalles