Page:Segalen - René Leys.djvu/35

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— Vous y êtes monté ? On peut y monter ?

— Non, reprend-il. Je le sais par un de mes élèves qui est neveu du Prince Lang.

— Oh ! vous éduquez des neveux de Prince ?

— Évidemment, à l’école des « Nobles » !

Il rassemble ses rênes. Je l’arrête.

— Restons au pas. Laissez-moi regarder au sud vers le Palais, par-dessus les parapets.

Je me dresse haut en selle. Les fossés du Palais sont pleins jusqu’aux lèvres, comme une vasque abreuvée de pluies, d’une eau dense, nourrie de limons et de sèves ; d’une eau couleur de plomb, sans rides, et qui porte lourdement, — laque embaumant ses profondeurs, — des cernes de larges feuilles rondes d’un vert doux : les lotus du Palais vont éclore… Sans une ride dans cette eau, les pavillons aux toits jaunes miroitent ; et je vois la denture renversée de leurs créneaux à deux marches… L’eau porte sans crever tout ce poids immobile et tout ce moment crépusculaire d’une densité qui me pèse…

Mon Professeur attend un peu plus loin ; immobile, poli, — il ne sent rien de l’éternelle beauté de l’heure. Il ne sent pas que ces reflets dans l’eau visqueuse, ces affleurements de choses sourdies du profond inconnu de la vase, se manifestent là tout exprès, par justice du Ciel, pour figurer à la fois la beauté secrète du Dedans, et sa contemplation impossible. Ces passions murées, ces vies dynastiques… j’en sau-