Page:Segrais - L’Énéide (Tome 1), 1719.djvu/106

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Trop longue et trop mêlée est son histoire entière ;
Je t’en veux seulement éclaircir la matière.
    Sichée, après le Roi, le plus puissant de tous,
Brave mille rivaux, et devint son époux ;
L’amour qu’il lui porta fut tendre, fut extrême,
Et presque enfant encore, elle l’aima de même.
Pygmalion son frère, indigne de son sang,
Du Roi mort occupa, mais soutint mal le rang.
Impie, avare, et lâche, ô fureur sans exemple !
Il poignarde en secret Sichée, et dans le temple ;
Plus traître encore, il montre une fausse douleur,
Il vient pleurer son crime avec sa triste sœur ;
Et pendant qu’il ravit leurs richesses immenses,
L’abuse et l’entretient de vaines espérances.
Mais dans l’obscure nuit, l’ombre de son époux
S’apparaît, lui montrant son sein percé de coups,
Les autels teints de sang, son corps sans sépulture,
Et lui démêle au long sa tragique aventure.
Il l’anime au départ par de pressants discours ;
A l’utile conseil ajoute un prompt secours,
Sous terre il lui découvre un trésor innombrable.
Sans bruit Didon s’apprête à la fuite honorable ;
Ce qui hait le Tyran avec elle est d’accord.
On conspire, on surprend les Navires au port ;
On y transporte l’or de l’avare Monarque ;
Le vent est favorable : on se sauve, on s’embarque.
Une femme conduit ce dessein glorieux ;
Et libre et triomphante, elle aborde en ces lieux
Où l’on voit jusqu’au Ciel s’élever son ouvrage,
Les orgueilleuses tours de la noble Carthage.
Mais toi, quel est ton sort, ta race et ton dessein ? »
    Arrachant un soupir du profond de son sein,
En ces mots, le Troyen répond à sa prière :
    « Le jour me manquerait plutôt que la matière,