Page:Segur - La Fortune de Gaspard.djvu/103

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Le pauvre Lucas frémit ; il savait ce que voulait dire une visite à l’étable ; au lieu d’une verge, c’était une corde qui servait aux corrections vigoureuses du père Thomas ; Lucas, jadis aimé de son père, ne l’avait jamais sentie qu’une fois, mais le souvenir lui en était resté. Et puis, il avait vu le pauvre Gaspard souffrir des semaines entières à la suite de visites à l’étable.

« Qu’ai-je donc fait ? se dit le pauvre Lucas en entendant la menace de son père. J’ai traîné la génisse quatre heures durant, que j’en ai les mains toutes meurtries. Quand nous nous sommes remis en route, je n’y ai pas pensé, il est vrai, mais mon père n’y a pas pensé non plus. Et puis j’étais si fatigué, si endormi, que je n’ai songé à rien. Mon père en a fait autant. S’il me bat pour cela, il faut qu’on le batte aussi. »

La mère le fit asseoir à table pour souper, le servit copieusement, et laissa son mari se tirer d’affaire tout seul ; elle lui en voulait de son injuste colère contre Lucas et de sa négligence au sujet de la génisse, qu’il aurait dû mener lui-même, pensa-t-elle.

Quand elle envoya Lucas se coucher, elle lui dit à l’oreille :

« N’aie pas peur, mon ami, il ne te touchera pas ; je t’en réponds. Et la génisse se retrouvera demain. Tu n’es pas fautif, mon pauvre garçon, et tu n’auras pas de mal ; dors bien et sans crainte. »

Lucas remercia sa mère et gagna son lit ; il y