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Page:Segur - La Fortune de Gaspard.djvu/106

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travailler aux champs ; tu lui as fait saigner le cœur bien des fois avec tes injustes reproches ; il a tout supporté avec courage, avec douceur. Hier, tu l’emmènes pour une course qui t’a fatigué, toi, homme vigoureux ; tu lui fais traîner la génisse quatre ou cinq heures durant, qu’il en a les mains toutes meurtries, et, pour sa récompense, tu le menaces de la corde ! Et tu crois que je te laisserai faire ? que je te laisserai maltraiter mon pauvre Lucas sans mot dire ? Que je te laisserai te livrer à tes brutalités et à tes injustices, sans oser prendre la défense de mon enfant ? »

Le père Thomas l’avait interrompue plus d’une fois, tantôt pour s’excuser, tantôt pour la faire taire. Mais la mère Thomas était montée ; elle avait le cœur trop plein, elle voulait défiler son chapelet, et elle ne s’arrêta que lorsqu’elle eut tout dit, et que le père Thomas, réduit forcément au silence, lui parut vaincu et repentant.

Thomas.

Eh bien ! oui, je te dis que tu as raison, que j’ai tort ! Es-tu contente ? Est-ce ça que tu veux ?

La mère.

Non, je veux mieux que ça ; je veux que tu rassures Lucas, que tu lui mettes du baume dans le cœur par quelques bonnes paroles, que tu le laisses travailler à la ferme jusqu’à midi, que tu ne l’obliges pas à aller à l’école dès le matin, et que tu lui fasses entendre que la vache bringée n’est pas de sa faute, mais de la tienne.