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LE NOTAIRE JOFRIAU

et ses pensées mettaient une expression lointaine dans ses yeux. Les passants se retournaient pour considérer le beau jeune homme qui les croisait sans les voir, distrait par le rêve qui l’emportait si loin de Rouen. Il s’en éveilla bientôt en entendant l’apostrophe amicale d’un autre clerc de l’étude qui s’y rendait aussi ; en causant ils firent ensemble le reste de la route.

Michel prenait toujours le repas du midi chez son oncle. Suzanne le taquinait fort ; lui, prudent, se contentait de répondre par des propos aimables mais anodins. Il avait pénétré le caractère de sa cousine et s’en méfiait un peu. En dehors des égards qu’il lui devait, il demeurait sur la réserve et s’était interdit toute camaraderie qui lui aurait sans doute attiré des rebuffades. Suzanne avait bien essayé de l’aguicher, mais, instinctivement, le jeune clerc restait courtois, sans plus. Elle, très fine, s’aperçut qu’elle ne tiendrait pas si facilement ce « sauvage » sous son sceptre. D’abord mécontente, elle chercha à se venger par des boutades, des allusions désobligeantes, des airs ennuyés. Rien de tout cela ne réussit à entamer la bonne humeur de Michel. Et le résultat de ces escarmouches fut tout autre que celui que l’indomptée en attendait. Sans s’en rendre compte, elle s’intéressa à ce grand garçon dont la conversation, les idées sérieuses et l’intelligence l’étonnèrent ; petit à petit, elle se laissa emporter par l’attrait qu’il savait donner au moindre entretien. L’examinant de plus près, elle le trouva vraiment beau, tout aussi élégant, en vérité,