Page:Senancour - Rêveries, 1833.djvu/20

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intention est différente. Chacun a sa place déterminée, comme possible, selon les fins du monde. Nous qui pourrons, sous ces lois, rester libres en un sens, veillons pour accomplir ce qui devient notre partage, et, lorsque nous croyons entendre, au milieu de tant de discordances en nous et hors de nous, un mot de l’infaillible vérité, redisons-le sur la terre.

Si de nombreuses calamités déshonorent d’âge en âge la société humaine, sans doute elle n’est pas assise sur des bases inébranlables. Fatigués ou déconcertés par la durée même de ce trouble, la plupart des esprits s’abusent sur ce qui l’excite, et observent rarement avec une entière indépendance la raison de chaque chose. Les sectes ou les écoles préconisent d’incomplètes vérités, qui leur paraissent favorables, et la doctrine si équivoque qui naît de ces exceptions est seule propagée.

Est-il un homme qui sache avec certitude si quelque bien réel, si quelque don sérieux nous fut accordé ? Est-il un homme qui l’apprenne de son propre génie ? De tout ce que vous désirez le plus, il n’est rien peut-être qui vous appartienne, et même dans l’ordre visible, vous êtes sans cesse occupés de l’avenir, pour hâter l’oubli de tant d’objets présens qui vous importunent, parce qu’ils vous détromperaient. Ce que vous demandiez, vous l’abandonnez ; ce que