Page:Senancour - Rêveries, 1833.djvu/41

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nifeste pas directement. Cette considération semble décisive dans l’hypothèse qui ôte aux corps apparens toute réalité (F). Les différentes choses n’existant pour nous qu’autant qu’elles sont connues de nous, et nulle substance ne pouvant l’être, tout se bornerait au sentiment des possibles. On ne saurait non plus admettre expressément hors de soi-même la pensée particulière, parce qu’on ne saurait dire s’il est d’autres êtres partiels organisés pour sentir, pour comparer, pour s’instruire, pour former des desseins. Chacun pourrait donc se figurer qu’il est ici le seul être réel, qu’il est doué seul des perceptions de la vie animale et terrestre, ou qu’elle se réduit à une série d’idées, dans un ordre intellectuel très-différent, en un sens, du monde où nous croyons agir.

On entrevoit ainsi dans les abstraits quelque chose de reculé que vraisemblablement nul ne discernera bien, et dont souvent le double aspect nous égare. Plus un métaphysicien aura de pénétration, plus il sera exposé à trouver pour conclusion le néant, même en voyant que sa propre existence détruit ses raisonnemens. Il est donc possible que nous tombions dans une de ces erreurs prolongées dont ensuite on est surpris lorsque le hasard les fait connaître. En quittant le repos de l’instinct, nous nous livrons