Page:Senancour - Rêveries, 1833.djvu/55

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entreprises, de nous y livrer sans beaucoup d’entraves, que viennent nos haines, nos craintes, nos antipathies, l’envie, la colère, la cruauté, la pusillanimité, ainsi qu’une égoïste indifférence pour ce qui n’est pas personnel, et pour ce qui ne semble pas indispensable.

Les nombreuses inclinations de l’homme, ces goûts contraires en apparence, et plus discordans encore lorsqu’on les suit aveuglément, n’ont tous qu’un même principe, et n’ont aussi qu’un même but. On s’efforce d’en approcher, ou d’une manière directe, en cherchant ce qui en fait partie, ou moins promptement, lorsqu’on évite ce qui en éloignerait. Il est des affections qui peuvent concourir par ces deux voies à la fin commune. Dans l’ambition même, dans ce désir d’être plus que les autres, on voit surtout la crainte d’être au-dessous de quelques-uns d’entre eux. Un caractère jaloux et indomptable, que sa position a rendu ambitieux, ne l’eût pas été s’il l’eût été seul. Souvent aussi les iniquités du pouvoir ont eu pour origine un sentiment d’égalité : des peuples qui prétendaient exceller dans l’art d’être libres, parurent réussir non moins bien dans l’art d’opprimer.

Sous le joug d’une fortune contraire, on sera naturellement froid ou pusillanime, tandis qu’une