Page:Senancour - Rêveries sur la nature primitive de l’homme, 1802.djvu/103

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imprudente énergie, a étendu les désirs et les regrets à des choses qu’ils ne sauroient atteindre, ou dans un monde qu’ils n’habiteront pas ; et encore ceux qui, sans beaucoup penser ou même sentir profondément, ont beaucoup éprouvé, et dont les relations, et surtout les jouissances, ont passé les bornes naturelles à l’homme : d’où il résulte deux classes de victimes de l’ennui ; l’une qui a connu, l’autre qui a pressenti hors des indications primitives et limitées de la nature. L’homme simple, occupé de travaux directement utiles, heureux de jouissances modérées, ne sachant que ce qu’il doit connoître, et ne désirant que ce qu’il peut posséder, sera toujours à l’abri de cette funeste langueur[1]. Que de prises on donne au malheur en étendant ainsi son être à tant de choses qui peuvent l’affecter péniblement : comment ne sent-on pas que le cœur si occupé au-dehors trouve en lui un vide indéfinissable, une foiblesse nécessaire qui produit l’impatience du moindre mal, l’indifférence pour tout bien, et dès-lors le dégoût d’une existence altérée par tant d’extension, et comme perdue et dissipée dans l’univers ?

  1. Et cela seul suffiroit pour prouver l’abus de la perfectibilité.