Page:Senancour - Rêveries sur la nature primitive de l’homme, 1802.djvu/104

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Tout semble commander à l’homme de borner ses vœux pour rendre leur objet accessible[1], de cacher sa vie pour la conserver libre, et de limiter son être pour le posséder tout entier. Telle étoit l’indication de la nature ; mais égaré accidentellement par les désirs donnés pour le conduire, l’homme ne s’arrêta plus dans sa déviation ; il l’aima, il la vanta, il la consacra ; l’orgueil de son être dégénéra

  1. Heureux qui préfère les simples besoins et la satisfaction paisible sous son toit modeste, aux plaisirs ostensibles, à l’ennui intérieur de la majesté des palais et du luxe des villes. Heureux celui dont les goûts sont naturels, le cœur simple, les vertus douces et l’aine aimante ; il a le caractère du vrai bonheur : mais, sur cette terre soumise à l’inquiétude sociale, où pourra-t-il vivre selon son cœur, selon sa destination ? où trouvera-t-il un asile qui suffise à ses enfans et protège la paix de sa vie ? où trouvera-t-il une femme qui soutienne ses destins et nourrisse d’un sentiment constant ses heures inaltérables ? où fuira-t-il la satiété du bien qui épuise et le désir du mal qui séduit ? où reposera-t-il content de ce qui est, de ce qui fut, de ce qui sera, indifférent au-dehors, paisible au-dedans, coulant ses jours ignorés et abondans de tous biens comme devroient vivre tous les hommes, comme ils le pourroient s’ils le vouloient tous, comme il est donné à si peu d’entre eux et de le pouvoir et de le desirer ?