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qu’il espère. La nature avoit semé pour lui des joies plus simples sur des traces plus heureuses. La féconde et impérissable espérance qui balance ses maux et nourrit ses désirs, ne lui fut-elle donnée que pour que les imposteurs ministres d’une destination céleste et les enthousiastes d’un vain songe de perfectibilité, promènent son inquiétude d’erreurs en erreurs, et appesantissent sur lui le joug des privations et des douleurs par la main même qui le guidoit à la félicité ?

Ce désir du bonheur est le principe de toute vertu, de toute action, de toute recherche. Les insensés qui en ont fait un crime, ont étouffé le germe qu’il falloit féconder ; n’en pouvant créer un autre, ils n’ont su rien produire, et n’ont obtenu que le triste succès d’avoir flétri le cœur humain et brisé les liens naturels. D’autres, plus fanatiques, ont proscrit l’amour[1] qui enchaîne tous les rapports, et, par le charme du bon, facilite tous les devoirs, pour y substituer ce moyen destructeur, ce ressort comprimant ennemi de toute énergie, l’aversion, et son sceptre odieux a régné sur l’abaissement de toutes les volontés et le silence

  1. L’amour en général, l’affection, les passions appétentes.