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table chez un peuple commerçant, libre ou non, il vient à n’aimer, à n’estimer que les richesses. Je crois en effet ce résultat absolument inévitable ; mais je le regarde non comme un inconvénient dont quelques avantages pourroient dédommager, mais comme un fléau le plus grand de tous et le plus anti-social. Non-seulement un peuple commerçant, ou un peuple riche qui, selon moi, est un peuple pauvre, vient nécessairement à aimer les richesses ; mais même lorsque son inconséquente morale lui recommande le mépris de l’argent, nul n’écoute ce précepte suranné, chacun sent que, là où l’argent représente tout, ne pas l’aimer c’est oublier ses propres besoins et sa nature, c’est quitter la vie réelle pour une vertu inutile, qui ne peut être bonne que chez les peuples prétendus pauvres, à qui elle convient si naturellement qu’alors elle n’en est pas même une[1]. Abandonnez le commerce aux peuples vieux et sans mœurs, chez lesquels il n’est en effet qu’un inconvé-

  1. Une vertu est un effort difficile. Un peuple bien institué auroit des mœurs et non des vertus ; mais ce dernier mot est quelquefois employé dans un autre sens, parce que celui qu’il y faudroit substituer manque à notre langue comme à nous-mêmes.