Page:Senancour - Rêveries sur la nature primitive de l’homme, 1802.djvu/208

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
( 198 )

nient, parce qu’il ne fait qu’accroître un mal déjà incurable. Il se peut même alors qu’il soit compensé par les commodités qu’il procure ; mais il ne sauroit l’être dans les lieux où sans procurer plus d’avantages ou même autant, il introduit tous les maux de nos sociétés.

Je veux que le commerce puisse être bon à certains peuples ; mais c’est par cela même qu’ils ne sont pas susceptibles d’une chose meilleure qui est de n’en avoir pas.

C’est une suite naturelle du commerce, de nous faire préférer les faux biens aux biens réels. En introduisant des productions étrangères, en excitant des arts multipliés, il présente aux désirs une intarissable variété d’objets. Dès-lors le superflu devient nécessaire, l’agréable se préfère à tout, le caprice est le besoin ; plus de grandeur sans ostentation, de mérite sans luxe, de plaisir sans art, ni de vertu sans argent. Nulle chose n’est bonne si elle n’est étrangère, coûteuse, difficile. On prodigue beaucoup pour posséder très-peu ; un seul consomme en un moment de faste, ce qui suffiroit à plusieurs pour vivre des années. Le pauvre est misérable parce qu’il n’a pas ce qu’il faut à ses besoins ; le riche est misé-