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préjugé de l’ame humaine essentiellement distincte du principe qui anime la bête, et de ce principe essentiellement différent de celui qui fait végéter la plante ; vous ne soutiendrez plus, malgré l’évidence dont la conviction vous accuse intérieurement, que la distance entre l’intelligence de l’ingénieux éléphant et celle du plus stupide maron[1] des Alpes, est plus décisive que celle de cet imbécille même au plus ingénieux des hommes.

Ceux qui ont voulu que l’ame fût une substance particulière, un être réel autre qu’une matière subtile et active, ont été réduits à affirmer des assertions contradictoires, ou bien à admettre les deux âmes, l’une sensitive et l’autre raisonnable ; celle-ci absolument spirituelle, mais l’autre matérielle, afin que l’on conçoive du moins comment nos organes produisent nos sensations. Mais, même en adoptant ces deux âmes, il restera toujours à expliquer comment la pensée, principe immatériel, ame raisonnable, est unie à la sensibilité, principe subtil mais matériel, ame sensitive. Ainsi l’on

  1. Voyez sur ces hommes affectés de goîtres et d’idiotisme, les ouvrages de Bourrit, de Saussure, etc., sur les Alpes.